dimanche, décembre 18

De l’idée à l’innovation, de l’innovation à la transformation de nos sociétés ...

Rares sont ceux qui sortent des sentiers battus partir découvrir de nouvelles voies sans toujours avoir conscience du risque. Les Gandhi, Einstein, Martin Luther Ling, Picasso et Steve Jobs font partie des « Crapauds Fous », métaphore de Pierre de la Coste, capables de transformer nos sociétés.





Pour rebondir sur cette métaphore, rappelons-nous néanmoins, que seuls, sans un entourage, un support capable de porter leurs idées, leurs valeurs, ils seraient restés des « Crapauds fous » perdus et isolés.

Technology Review - Pierre de La Coste, Infographie : sciencegraphique

Origine du « crapaud fou »

A l’image d’un gène dans l’ADN, le « crapaud fou » est une mutation de l’ADN de notre société, imprévisible et aléatoire. Sera-t-elle bénéfique, délétère ou sans conséquence ? Il est impossible a priori de le déterminer. Parfois dormante, elle pourrait se réveiller à n’importe quel moment selon les variations et bouleversements de son environnement et sauver une espèce en se reproduisant.

Toute société génère des « crapauds fous », des éclaireurs illuminés, des aventuriers cherchant fortune, des explorateurs à la quête d’un nouvel Éden ou de simples quidams ayant perdu leur chemin… avec chacun des motivations propres. Un « crapaud fou » n’a de sens que le sien, il est indépendant des autres quel que soit les conséquences de ses choix. Il peut ouvrir des portes que nul autre n’oserait pousser, enfoncer des portes ouvertes ou se précipiter dans le vide.

Il serait autant capable de sauver l’espèce en montrant le chemin à travers champs aux « crapauds normaux » que de l'anéantir s'il était suivi en traversant une route fréquentée. Comme pour les mutations, parmi toutes les voies tracées par tous les « crapauds fous » seules quelques-unes subsisteront et nous aideront à faire face à une transformation profonde de notre environnement. Enfin, si la majorité des crapauds étaient des « crapauds fous », l’espèce risquerait l’extinction à long terme, car elle n’aurait aucune direction cohérente.

Le « crapaud fou » est souvent un être solitaire, sa folie effraie plus qu’elle n’attire.
Il doit faire preuve d’une rare persuasion, d’une volonté sans faille et d’une capacité à trouver écho auprès de ceux qui ont le pouvoir et les ressources de transformer des idées en grandes réalisations. Les Christophe Colomb et Léonard de Vinci auraient-ils foulé l’Amérique, été un peintre, ingénieur, inventeur de génie, sans respectivement Isabelle de Castille ou Laurent de Médicis.

La conquête de l’Ouest aurait-elle été si rapide si le Congrès américain n’avait pas favorisé l'implantation des fermiers à l'ouest du Mississippi et s’il n’avait pas investi massivement dans la construction du chemin de fer transcontinental ?

Les « crapauds fous » ont besoin de leur mécène pour que leurs idées prennent vie.

Après la question est : Quels crapauds soutenir : les plus hardis, les plus courageux ou les plus consensuels ?


En 1845, un message pouvait prendre 6 mois pour être acheminé de la côte est à la côte ouest du continent américain. Début 1860, 25 jours en diligence sont encore nécessaires.
Le 3 avril 1860, « trois crapauds fous » William Hepburn Russell, William B. Waddell et Alexander Majors décident de lancer le Pony Express. Grâce à un réseau de 160 relais et 400 chevaux, ils parviennent à relier l’Atlantique au Pacifique à la vitesse d’un cheval au galop, soit en seulement 10 jours.


Le 24 octobre 1861, le dernier poteau d’un télégraphe est planté et le soir même, seules quelques secondes suffisent pour qu’Abraham Lincoln reçoive le premier télégramme transcontinental. Deux jours plus tard, le Pony Express cessera toutes ses activités et ruinera ses fondateurs.

Il n’est pas toujours évident de miser sur le bon cheval. Il est plus facile de creuser une piste déjà tracée plutôt que de sortir des rails. Pourtant, il est indispensable de savoir s'éloigner des sentiers battus et chemins balisés et de ne pas attendre l’approbation de la majorité pour soutenir les idées des « crapauds fous ». Les Hommes qui ont le plus marqué notre Histoire sont ceux qui ont refusé de suivre son cours et ont eu la volonté inébranlable de le changer, non de le suivre. Galilée, Gandhi, Martin Luther King ont défendu leurs idées et leurs idéaux au péril de leur vie. Nos sociétés digèrent leurs idées à leur rythme, lentement ou par à-coups avant qu’elles ne coulent dans nos veines.


Actuellement, nous avons provoqué de changements si profonds à notre planète et société que les problèmes auxquels nous allons nous heurter ne pourront plus être résolus par de vieilles recettes.

Nous devons soutenir et développer la bio-diversité des idées si nous souhaitons que parmi elles en sortent quelques solutions iconoclastes et salvatrices. Au minimum nous devons les tolérer et non les pourchasser systématiquement au nom d’une doctrine commune ou parce qu’elles ne rentrent pas dans le cadre.

Pour y parvenir, nous devons d'abord OUVRIR. Ouvrir nos yeux, nos oreilles, nos livres, favoriser les rencontres et la fertilisation croisée des idées.


Ce n’est pas un hasard si la mécanique quantique a fait des bonds spectaculaires dès les premières décennies du XXe siècle. Des physiciens tels que Bohr, Heisenberg, Einstein, Schrödinger, de Broglie se retrouvaient et partageaient leurs idées à l’occasion notamment des congrès Solvay grâce au mécénat d'Ernest Solvay, un chimiste et industriel belge.

À une échelle beaucoup plus large et dans l'esprit de sites comme Wikipedia, nous pouvons utiliser le puissant levier du citizen-sourcing sur des sujets nous touchant tous tels que la maîtrise de l'énergie, l'éducation, l'accès au numérique, les soins ou tout simplement la gestion de notre ville. Ce n'est évidemment pas exclusif des autres moyens pour trouver des solutions, mais cela apporte du sang frais.

Que nous manque-t-il pour que cela réussisse réellement ? D'abord, les données.

Nous les avons de manière parcellaire et souvent partisane avant les élections ou lorsque le sujet arrive sur le devant de la scène.

Or, comment viser juste si nous ne savons pas où se trouve la cible ? Comment savoir qu'une idée est bonne, si nous ne pouvons suivre son impact dans le temps et de le comparer avec ce qui était espéré ?


Donner accès aux données publiques (comme le programme data.gov aux États-Unis), exposer en détail les problématiques de sa ville, sa région, son pays avec ses contraintes et indicateurs associés et en les mettant en perspective constituent la première brique. Par exemple, des programmes comme See-It développé dans la ville d’Albuquerque (Etats-Unis), donnent enfin de la visibilité aux citoyens pour suivre et évaluer les efforts de la ville sur le plan écologique.


Ensuite, nous devons donner à chacun la possibilité de commenter, réagir sur ces données et même de les produire et participer à la recherche de solutions. Des villes comme Boston, San Francisco et New York ont déjà mis en place des applications permettant à tous de remonter tous les problèmes urbains comme les graffitis, les routes dégradées, les feux rouges en panne… découverts dans leurs villes. La prochaine étape pourrait être de donner à chacun la possibilité d’apporter ses idées sur l’aménagement de la ville, les transports, la sécurité…


Cela incite chacun à être acteur et non spectateur, de participer à la solution plutôt que d'entretenir le problème.

La deuxième étape après Ouvrir est de CHOISIR.

Il est impossible de prendre en compte les idées de tous, il est donc nécessaire de choisir. Oui mais lesquelles et par qui ?

Chaque idée au départ est comme une clé qui n’a pas trouvé sa serrure. L’objectif n’est pas qu’une entité choisisse pour tous les meilleures idées, mais que chaque entité trouve l’idée qui l’aidera le mieux à résoudre son problème.

Communiquer clairement et largement sur ses priorités et critères de sélection est une forme de choix a priori.

En donnant ses lignes directrices, un État, une ville, une organisation ou une entreprise va inciter les multiples « crapauds fous» à se concentrer sur un domaine, car ils auront plus de chances d’être choisis pour bénéficier d'un support financier, logistique, médiatique.....

Néanmoins, l’Internet participatif, le Web 2.0, l’explosion du « Many to Many » ouvrent une formidable fenêtre qui favorise la rencontre croisée d'innombrables problèmes et d'une multitude de solutions...


Les moteurs de recherche comme Wolfram Alpha, les forums Internet, Wiki sont les ancêtres de cette révolution en permettant de trouver facilement une réponse à des problèmes simples. Déjà commencent à émerger des sites webs comme Crowd Spirit et en particulier Hypios permettant de réaliser le « match-making » entre problèmes et solutions.


Une entreprise, une organisation, une collectivité territoriale peuvent exposer un cahier des charges de leur problème en restant anonymes s’ils le souhaitent. Toute personne porteuse de solutions peut facilement y répondre.

Avec l’expansion de ces plateformes de solutions, un mode « pull » complétera certainement le mode « push ». A l’image des sites de recherches d’emploi, chacun pourra publier des solutions et les problèmes qu’elles résolvent indépendamment des problèmes déjà soulevés par d’autres. La recherche sémantique associant par analogie des problèmes et des solutions démultiplierait même les échanges. Un problème publié aujourd'hui pourrait trouver une solution proposée bien avant et provenir d’un domaine très différent.

Enfin, il sera possible de voter pour les meilleures solutions, de suivre leurs résultats, leur évolution…

La troisième étape est d'AGIR.

Agir est rendre concret une idée afin qu’elle ne reste pas dans un placard virtuel. Il y a de nombreux leviers pour entretenir un terreau favorable à l’action : développer la création d’entreprises et l’auto-entrepreneuriat autour des solutions proposées, faciliter les échanges entre chercheurs et entreprises, entre citoyens et administrations…

Pour que les innovations en rupture transforment réellement notre société et assurent notre avenir, les « crapauds fous » doivent être rejoints et soutenus par une communauté croissante de « crapauds pionniers » « colons » puis « suiveurs ».

Attentifs aux nouvelles idées des « crapauds fous », les « crapauds pionniers » construisent les routes des voies que les « crapauds fous » ont explorées. Ce sont les premiers bâtisseurs qui facilitent l’accès aux prochains crapauds. Inciter des acteurs suffisamment importants et écoutés (collectivités, acteurs privés, organisations internationales, personnalités reconnues…) à soutenir et investir du temps, des ressources dans ces idées sont autant de moyens pour les aider.

Les routes une fois pavées ouvrent l’accès aux « crapauds colons » qui veulent quitter leur ancienne terre pour partir vers de nouveaux cieux. Les « crapauds colons », ce sont les entreprises qui bâtissent un écosystème autour des entreprises pionnières en fournissant la logistique, les systèmes d’informations… Puis vient le temps des « crapauds suiveurs » qui sont prêts à venir, car l’herbe est plus verte, mais qui ne seraient jamais venus s’il n’y avait eu de « crapauds fous, pionniers et colons ». Ils représentent le volume indispensable pour faire évoluer une société entière.

Il y aura bien sûr des « crapauds réfractaires » qui ne quitteront jamais leur terre ancestrale, mais même eux sont importants, car parmi eux, nous trouverons peut-être les « crapauds fous » de demain et ils resteront la mémoire de nos racines.



Ainsi, pour innover et trouver des solutions durables, il est crucial de stimuler cet esprit de conquête qui ne repose pas uniquement sur les épaules des « crapauds fous », mais aussi sur tous les autres « crapauds ».

La dernière étape est de REAGIR

Réagir, c’est être capable de déterminer très rapidement si une solution est adéquate et quand elle ne l'est plus, la faire évoluer voire de revenir en arrière et changer de cap si nécessaire. La complexité croissante des problèmes et la vitesse de changement de notre société rendent les solutions peu prévisibles et rapidement périssables si elles n'évoluent pas. Il est d’ailleurs préférable de l’anticiper en évitant les choix définitifs et en gardant toujours plusieurs options ouvertes. Le temps entre l’action et la réaction est devenu quasi nul.

Pour répondre à cet état, nous devons changer de perspective. Les idées qui apporteront les solutions de demain n’auront, à terme, pas de propriétaires. Elles seront autonomes, « open source », capables d'évoluer très rapidement, de s'adapter aux changements de leur environnement, de se mélanger entre elles à l’image des mèmes grâce aux révisions, améliorations de chacun.

Conclusion

Faut-il intégrer ces idées à la vitesse de leurs évolutions ?

Le danger est d’être entraîné dans une course de vitesse effrénée où nous perdrions le cap. D’autre part, notre société n’est pas constituée d’un seul bloc. Elle évolue à plusieurs vitesses alors qu’il y a une intrication de plus en plus grande entre ses composantes. Pour éviter la dislocation, il est crucial de ne pas perdre de vue ce que nous avons en commun, qui nous sommes, quelles sont nos valeurs et ce à quoi nous aspirons. Nous pouvons donc intégrer ces idées mais à un rythme que nous sommes capables de soutenir.



Plus généralement, en facilitant l'enchaînement : Ouvrir, Choisir, Agir et Réagir, nous ferons émerger les meilleures idées des crapauds fous afin qu’ils répondent aux transformations de notre future société en tenant compte de ceux qui la composent.

L’avenir de notre communauté repose bien sur les « crapauds fous » qui découvriront de nouvelles voies, mais aussi sur toute la communauté des crapauds avec qui ils vivent.

Dimitri - 2011
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